Bojana Cvejić
69 Positions – Entretien avec Mette Ingvartsen (français)

Bergen, Octobre 2014

BC : Quelle fut l’idée ou l’élément déclencheur qui t’as amenée à créer « 69 Positions « ? Pourrais-tu retracer l’histoire du projet ?

MI : En fait, comme je l’explique pendant le spectacle, tout a commencé par un mail que j’ai écrit à Carolee Schneeman. La lettre que je lui ai adressée était suscitée par l’intérêt que j’avais au sujet de la sexualité et de la nudité, thèmes que j’avais développés auparavant dans des performances. Ces notions étaient présentes dans mes premières pièces. Cependant, durant ces dernières années je me suis totalement concentrée sur la chorégraphie pour non-humains, y compris pour les matériaux inanimés. Et je me suis donc demandée pourquoi cet intérêt pour la sexualité revenait dix ans plus tard. Le cinquantenaire de Meat Joy approchait, et j’ai pensé que si j’écrivais à Schneeman en janvier 2013, nous aurions suffisamment de temps pour préparer et réinterpréter Meat Joy à Paris, pour le vingt-neuf mai 2014.

Ton projet d’origine était donc de reconstituer « Meat Joy » ?

Mon idée était de travailler avec Schneeman et le groupe d’origine de Meat Joy. Ce n’était pas seulement le fait de refaire la même performance, mais de la reconstituer avec des corps cinquante ans plus âgés qu’à l’époque de la performance d’origine. Ceci nous aurait permis d’examiner la différence entre la pièce d’origine et la reprise cinquante ans plus tard. J’ai proposé à Schneeman de travailler sous forme d’interview. Cette méthode de collaboration pouvait rajouter un niveau supplémentaire à la reconstruction qui aurait également intégrait une réflexion sur l’enjeu de la création de Meat Joy dans les années 60, sur les fondements conceptuels et politiques de ce travail. Je me suis intéressée à cette pièce lorsque je me suis retrouvée à plusieurs occasions à essayer de la décrire et de l’exécuter en même temps. Je me suis alors demandée quel serait mon ressenti si je faisais Meat Joy, tout particulièrement au niveau du contact du corps avec cette viande morte.

Au delà de l’intérêt pour la sexualité et la nudité dans la performance, et « Meat Joy », il y a aussi la parole et les actions que tu t’appropries sous forme de conférence-démonstration. Quel lien fais-tu entre ton désir de vivre l’expérience de la performance de « Meat Joy » et une conférence-performance sous forme de solo ?

J’avais fait part de mes réserves au sujet de l’idée de reconstruction à Schneeman – qui est aujourd’hui une tendance en pleine croissance en danse ou dans la performance, plus particulièrement en relation aux pièces des années 60 – Schneeman l’a elle même soulignée avec insistance lorsqu’elle écrit : « Je ne suis pas fan du refaire… » Je n’avais aucun fantasme sur ce que la performance pouvait donner à voir. Essayer de décrire Meat Joy avec mon propre corps était un point de départ suffisant. Et j’étais intéressée de rencontrer Schneeman et son groupe d’interprètes, car j’avais confiance que quelque chose d’inattendu pouvait émerger à partir de la rencontre et guiderait le travail.

En revanche, j’ai exploré différents formats d’interviews à l’écrit ou à l’oral dans le passé. Ceci m’a amenée à chercher comment une approche discursive pouvait donner forme à une nouvelle performance. Je préfère l’appeler une « pratique de la performance discursive» au lieu de conférence-performance, un genre familier qui a déjà ses fonctions et son histoire. Avec la pratique de la performance discursive j’essaie de définir le format par lequel le processus d’une production de discours donnerait vie à autre chose que le sujet qui est évoqué. J’évite donc les actions de démonstration, ou documenter les pièces historiques car aujourd’hui je veux créer une autre réalité de ces pièces. J’ai déjà expérimenté ceci dans Speculations (2011), le solo-performance construit autour de la parole que j’ai crée en préparation d’une autre chorégraphie de plus grande envergure, The Artificial Nature Project (2012). C’était pour moi, une manière d’avoir une réflexion sur les pensées et idées que j’allais développer dans la prochaine chorégraphie et rendre cette réflexion publique à travers un discours. Qu’est-ce que la réalité performative ? Comment produire des réalités imaginées ou virtuelles, et comment les relier, pour ainsi dire, à la vraie réalité ? Ceci étaient les questions qui me préoccupaient à l’époque, et je les ai également incorporées à 69 Positions.

Il y a peut-être un nouveau rythme de recherche qui donne une forme spécifique à ton travail : un solo qui examine des idées et qui préfigure un travail de groupe de plus grande envergure.

Peut-être il y a t-il une autre analogie entre Speculations et The Artificial Nature Project, d’un côté, et entre 69 Positions et la chorégraphie de groupe que je commence à préparer pour l’année prochaine de l’autre. Je ne sais pas encore ce que cette pièce de groupe va finalement être, la comparaison est donc seulement provisoire – et bien entendu, les idées conceptuelles ne se traduisent pas une à une dans la chorégraphie, puisque l’expression non-verbale est communiquée de manières différentes. Mais ce dont je suis sûre, c’est que le fait de penser en terme de concepts et préoccupations liés très clairement à la société est une motivation très importante pour mon travail. Le fait d’exposer des idées d’une manière explicite me paraît très important en ce moment. J’aime aussi le processus de préparation d’une nouvelle pièce, ce qui me donne le temps de penser et chercher, et ce que je cherche dans 69 Positions est une forme performative, un modèle discursif qui exprime ces pensées, concepts et idées.

Peut-être est-ce une façon de prolonger la durée de réflexion. Ce qui d’une manière générale te définit en tant que créateur dans un théâtre est le dialogue. Tu veux donc projeter ces idées à l’intérieur d’une sphère où elles peuvent rebondir. Tu veux qu’elles soient présentes, en résonance pour un moment avec un public, et tu en fais le test sur une scène de pensée, avant de les amener à un autre niveau, vers une collaboration avec des danseurs.
Tu pourrais maintenant nous expliquer à quelle occasion tu as en fait décrit et fait « Meat Joy » avant de commencer à travailler sur « 69 Positions » ?

Cela c’est déroulé dans le contexte d’Expo Zéro, un projet initié par Boris Charmatz et le Musée de la Danse. Ce projet constituait à inviter dix artistes pour qu’ils créent leur propre histoire de la danse, prenant comme point de départ leur propre corps en tant que réceptacle de l’histoire. Mon intention était alors de sélectionner trois pièces des cinq dernières décennies qui m’avaient fortement marquée: des pièces que j’aurais aimé créer, et des pièces que je n’aurais pas aimé créer bien qu’elles m’intéressaient pour plusieurs raisons – Ces choix étaient fondés sur des sentiments extrêmes et non mitigés. Au cours de deux éditions d’Expo Zéro auxquelles j’ai participé, j’ai réalisé que j’étais attirée par des femmes nues exécutant des actions extrêmes de tous genres. Meat Joy fut mon premier choix, ainsi que des actions de Marina Abramović et Ulay, les pièces des années 60 et 70. J’ai pensé que c’était étrange qu’aucune pièce des années 80 et 90 attirait mon attention. Cela me paraissait trop proche et j’avais besoin de prendre une certaine distance. Puisque Expo Zéro créait une situation de dialogue, où les spectateurs s’expriment, j’ai été confrontée à de fortes réactions durant mon travail avec Meat Joy. Par exemple, lorsque je décrivais l’action de mordre à pleine dent un poulet mort, les gens expliquaient avoir eu une forte expérience viscérale à l’idée d’imaginer la relation entre un morceau de viande et la chaire humaine. À cette époque, je travaillais sur la relation entre l’animé et l’inanimé pour The Artificial Nature Project. Je pense donc que c’est à ce moment là que Meat Joy est arrivé.

Tu as présenté une version de cette performance à Courtrai. Pourrais-tu retracer la suite chronologique de la phase de création ?

Ma lettre adressée à Schneeman remonte au 25 janvier 2013. Lorsque Schneeman a refusé mon invitation, je lui ai envoyé une autre proposition, mais je n’ai jamais reçu de réponse. Alors je me suis demandée: est-ce que cela veut dire que je dois abandonner ? Après réflexion, j’ai décidé que je poursuivrais ce qui m’intéressait en examinant l’interaction entre la matière morte et vivante et qu’ensuite je verrais où cela me conduirait. De plus, j’ai commencé à chercher d’autres pièces concernées aussi avec la nudité, avec la représentation sexuelle ainsi qu’avec des remises en question de participation en terme d’engagement politique direct dans les années 60. Ceci est la manière dont Dionysis in 69, Yayoi Kusama et Jack Smith, par exemple, ont ressurgi. Ce qui a commencé à être un sujet de préoccupation fut la question de comment imaginer mon propre corps devenir multiple, se multiplier à partir de différentes perspectives. En même temps, Agnès Quackels, la programmatrice du centre culturel BUDA, à Courtrai, m’a invitée afin de présenter les différentes références liées à mon travail. C’était une invitation carte blanche avec l’idée de base que les artistes exposeraient leur travail d’une manière indirecte, à travers des références qui leur semblait pertinentes. Je voulais d’abord intituler ma présentation Dix références que j’aimerais partager avec vous, ce qui signifiait une sélection de dix pièces des années 60 dans lesquelles je voulais m’immerger. Je me souviens que tu remettais cette idée en cause.

Je t’ai demandée la raison pour laquelle tu faisais cela, et qu’est-ce que tu désirais accomplir en décrivant des performances nues et explicitement sexuelles, des années 60 à aujourd’hui.

Il faut expliquer que dans cette première version le contexte historique et politique manquait. Je l’ai délibérément mis de côté pour que la description donne l’impression que j’inventais quelque chose spontanément. Jel’avais construit comme une chorégraphie imaginative. À la suite de notre conversation, j’ai réalisé que ce qui m’intéressait vraiment était la relation entre ces pièces et le mouvement de la révolution sexuelle dans le contexte de la guerre du Vietnam. Oter le contexte historique et politique voulait alors dire fragiliser la manœuvre des pièces auxquelles je faisais référence. Ceci m’a amenée à l’idée de construire un cadre d’exposition, où les pièces de référence ne seraient pas seulement identifiées, mais pourraient aussi interagir avec ma transposition imaginaire que je fais d’elles aujourd’hui. La version de Courtrai comprenait trois sections – trois salles – en commençant avec les pièces des années 60, puis mon propre travail, et en finissant par la lecture du livre de Beatriz Preciado.

Venons-en au thème de la pièce. La nudité opère à trois niveaux: Premièrement, en tant que geste libérateur durant le mouvement social des années 60 en occident ; deuxièmement, à la fin des années 90 elle était présente dans le milieu de la danse contemporaine, ainsi que dans ton travail; troisièmement, dans ce solo tu es entièrement nue, à proximité des spectateurs.

Je me souviens que tu parlais de l’utopie ratée des années 60, qui était la création du corps collectif et l’idée que les gens peuvent découvrir leur moi naturel sous leurs vêtements en signe de liberté, aussi avec cette notion de « free love ». Et que cette révolution sexuelle amènerait en fin de compte les gens vers des actions politiques et un changement social.

Correct, et ensuite les valeurs morales de l’ordre public ne changent pas ; Les gens ne se promènent pas nus dans les espaces publics. Mais au milieu des années 90, avec le travail de Jérôme Bel et de Vera Mantero, et plus tard avec celui de Xavier Le Roy, Boris Charmatz et d’autres, la nudité devient un instrument qui agit sur le corps, s’immisçant à la représentation humaine dans l’identification du critère de genre, l’humain, l’animal ou le monstre en tant qu’un corps vivant, machine, etc. De quelle manière cela a t-il joué un rôle dans ton propre travail ?

Dans Manual Focus and 50/50, la nudité était un moyen d’effacer les traits d’identification, ce qui augmentait la capacité du corps à se transformer. Déjà dans une de mes premières pièces, Manual Focus, j’étais intéressée par la déformation et défiguration du corps en utilisant notre perception de ses mécaniques, le retournant, afin qu’il ressemble à un animal ou à un estropié, ou juste quelque chose d’autres qu’un simple corps à la vertical et fonctionnel. Nous portions également des masques de vieux hommes derrière nos têtes, ce qui court-circuitait les contraires comme vieux/jeune, artificiel/naturel, mâle/femelle. Dans 50/50, j’étais plus préoccupée par les codifications du corps en mouvement : les expressions spectaculaires du corps dans un concert de rock et pantomime d’opéra, go-go danse. Je pensais au langage, et le corps comme moyen de transmission de langage, et en même temps s’en distinguer ou le surpasser en utilisant l’affect. Pendant un concert de rock, les gens crient «ouah », et en gros, ils ne peuvent pas contrôler leur excitation. Je voulais donc examiner le spectaculaire des expressions de la culture élitiste ou populaire et leur faculté de manipulation affective. Comment puis-je travailler sur le potentiel affectif des représentations qui seraient difficile à percevoir et situer dans un contexte identifiable ? Je me souviens de réfléchir à comment produire un bruit dans l’image et une égratignure dans le son.

Mais pour y arriver, tu as dû défigurer le corps : Dans « Manual Focus » c’est le masque ; dans « 50/50 » c’est la perruque. Et dans « to come » les costumes bleus recouvrent la totalité du corps, ainsi rendant flou le sexe des danseurs. Si nous désirons faire une rapide comparaison avec la nudité dans les performances des années 60-70, danser nu sous-entendait produire du « réel », par exemple, une situation où la réalité devait ou pouvait procurer du plaisir. Les situations que tu crées dans tes pièces quarante ans plus tard sont délibérément artificielles, une question de construction, et le plaisir en est exclus. La règle absolue des vingt dernières années dans la performance est que l’artiste n’a pas le droit d’avoir (ou de montrer) du plaisir afin que les spectateurs puissent avoir une expérience différente.

J’essayais de déconnecter le plaisir et le désir du corps individuel, contrairement à l’idée que ton propre désir t’appartient.

Mais appartient à l’espace, à la situation… ?

Aux structures sociales dont la faculté est de produire et de contrôler notre comportement. J’étais préoccupée par la question du désir en relation au capitalisme, alors que je lisais le projet de Deleuze et Guattari Capitalisme et Schizophrénie. Par exemple, la manière dont la publicité sexualise les produits : on mange une glace mais en fait on est entrain d’avoir un orgasme. Tu vois ce que je veux dire ? Ce que l’on achète est un orgasme et non une glace.

Ou bien l’orgasme est supposé nous attendrir pour acheter une glace, car c’est cela le but.

Exactement, ils préféreraient probablement que l’on achète juste un orgasme sans manger la glace. Cela reviendrait moins cher. Dans to come, j’avais vraiment envie de comprendre de quelle manière le désir fonctionne. Je me souviens de lire Freud et de ne pas du tout être d’accord avec ses associations du désir et de la pulsion sexuelle, ou avec la « chaleur », ou bien la notion du manque. Je recherchais des chemins différents, et la notion du désir comme processus de production telle que l’expliquent Deleuze et Guattari faisait écho en moi. Ils parlent de machines et assemblages désirants, et je voulais créer une chorégraphie qui pouvait révéler les mécanismes du sexe. Ce qu’on fait essentiellement est d’appliquer des actions sexuelles à un groupe. Alors, au lieu de dire « OK, ça secoue ou ça gonfle» c’est tout le groupe qui littéralement se secoue ou se gonfle ; ou « ça vibre » et c’est alors tout le groupe qui vibre – et non transposer des actions sexuelles dans des interactions personnelles entre deux corps.

« Manual Focus » utilise la nudité afin de décomposer l’identification du corps. « 50/50 » exploite le potentiel érotique du corps en spectacle, tout spécialement durant les scènes des fesses qui remuent ou les seins qui viennent jusqu’à dans notre figure. Cependant, c’est essentiellement et surtout « to come » qui traite du désir sexuel. Et il y a un ordre de narration en trois sections, qui d’une certaine manière gravite autour du thème du rapport sexuel : les étapes préliminaires d’une fête où les corps se courtisent lors d’échange de désir sexuel, les mécanismes silencieux de sexe collectif en tant qu’acte sexuel, et le concert d’orgasme au pic du rapport sexuel. Trois éléments arrangés horizontalement dans un désordre complet.

Commencer avec les mécanismes du sexe, continuer jusqu’à l’orgasme et finir avec la danse. L’idée sous-jacente de cette structure c’est que si on place les trois sections l’une sur l’autre, on obtiendrait alors l’acte sexuel complet. On aurait les positions, on aurait le son et on aurait la transpiration et les mouvements plus exubérants.

D’accord. Mais comment as-tu décidé d’inclure ton propre travail dans « 69 Positions » et de le placer au centre afin qu’il copule avec la première partie ?
Cela amène à questionner si tu inscris tes pièces au mouvement avant-garde des années 60.

Le choix de tous les matériaux de 69 Positions a été fait en relation aux thèmes des performances sexuelles et de la nudité. J’aurais pu choisir le travail de mes collègues des années 2000, mais ma priorité était d’examiner à nouveau mon propre travail en lien avec ces thèmes. Je voulais analyser la chose qui m’avait intéressée il y a dix ans. Et je voulais voir de quelle manière mon intérêt pour la sexualité bascule maintenant des questions d’identité en accord avec le corps vers des questions de sphères privée et publiques. Ainsi, la sexualité s’avère être un bon instrument pour examiner le fusionnement du privé et du public, ou bien se demander à quel endroit ces deux sphères coïncident aujourd’hui.

Une autre pensée à propos de l’utilisation de mes récentes pièces est la question de comment arriver à ce qu’elles ne m’appartiennent plus. Toutes ces pièces ont été créées afin de contester l’approche identitaire du corps. Et je n’en suis pas le sujet. Leurs thèmes tournent plutôt autour de l’idée de déni de l’importance de l’individu. Mon souhait était donc de ne pas seulement analyser la façon dont j’avais construit ces pièces, mais plutôt de les considérer en tant que matière pour créer une autre chorégraphie avec la parole. Par exemple, lorsque je décris et fais la scène de l’orgie avec les spectateurs, ce n’est pas seulement une description d’une sculpture qui en émane ; une situation sociale est évoquée, dans laquelle les spectateurs jouent avec les limites entre le privé et le public.

Le fait que ceci est un mode différent de participation que de regarder la même orgie sur scène est peut-être dû au fait d’avoir transformé la pièce en une partition. Il y a plus d’espace entre la distance qui me sépare de mon siège à m’imaginer dans ces positions. L’identification est intensifiée et accélérée lorsque tu t’adresses aux spectateurs en disant «vous faites ceci, et maintenant vous faites ça ».

Mon intention de départ pour to come, en utilisant des costumes de couleur uniforme bleue, était de vouloir stimuler la projection. Mais je ne pense pas que cela est vraiment fonctionné avec le public qui regardait la performance sur scène. Dans 69 Positions j’essaie de créer un passage entre l’acte sexuel et la sphère publique, que je considère littéralement comme les spectateurs dans le théâtre. Ceci est également le cas lorsque je leur demande de recréer la chorale d’orgasme. Je leur donne littéralement.

Mais tu ne serais pas vraiment contente s’ils la faisaient pour de vrai, non ? Même dans la performance « to come » les costumes bleus empêchent l’échange de fluide entre les danseurs ; cela donne une image sans risque. Ici il y a le danger que les spectateurs puissent potentiellement participer. Pourtant tu leur demandes de faire semblant, c’est à dire de faire une simulation ?

Cela c’est déjà produit que des gens participent, et cela veut dire qu’ils matérialisent la chorégraphie imaginaire. Ce n’est pas que je ne veux pas que cela ait lieu, mais je pense que je préfère lorsque cela reste à ce niveau virtuel et non joué. Toute la pièce fonctionne sur la chorégraphie du langage. Cela doit rester dans votre tête, cela doit se passer dans l’imagination. Cela amène à questionner ce que veut vraiment dire participer. Ce que j’essaie de faire ici implique plutôt la pensée, se mettre en situation, mais pas forcément faire le pas.

Hésiter?

Je trouve le moment juste avant l’action très intéressant. Car je me demande ce qui finalement se passe entre l’instant où l’on ne fait pas et où l’on fait, et ceci est en fait politique. Pendant toute la performance, les gens peuvent – c’est du moins les échos que j’ai eu de certains spectateurs – se retrouver dans cette étrange situation de ne pas vraiment savoir comment agir : Est-ce que je dois m’asseoir ? Dois-je rester debout ? Dois-je être proche, loin ? Est-ce que je veux en faire partie, ou non ? Dois-je participer ? Et toutes ces questions sont pour moi très importantes car elles nous mettent en position de sortir d’un mode de comportement prescrit. Nous savons que nous devons marcher sur le trottoir, se tenir à droite, marcher à gauche – tu vois, toutes ces règles qui créent l’ordre public.

L’instant où l’inactivité se transforme en activité est ce qui t’intéresses, du moment que cela reste aussi précaire.

Oui, parce que la participation implique la négociation. Refuser de participer en termes d’interaction est aussi une option. Alors quand, dans Dionysus in 69, je saute dans tous les sens comme une idiote et que personne ne me rejoint, c’est d’une certaine manière presque plus intéressant que s’ils commençaient à danser avec moi. Le contraire fonctionne aussi. Mais l’impossibilité et la difficulté de, ou la résistance à, participer est de nos jours symptomatique, et c’est ce que cette pièce remet aussi en cause. Que faut-il mettre en place pour que l’on puisse se réunir et faire quelque chose ensemble ? Je propose que l’espace et les spectateurs fassent partie du processus de définition. C’est ce que j’appelle « chorégraphie douce » (soft choreography).

Parlons de la troisième partie en lien à la sexualité, car c’est celle qui peut être plus difficile à identifier pour les spectateurs, à part peut-être pour «testo junkie», la nouvelle pratique d’intrusion des fondements physiologiques d’expressions de genre par la thérapie hormonale.

Ce qui m’intéresse dans cette troisième partie est d’examiner comment l’espace public, que je comprends ici comme l’ordre mis en place par les règles gouvernementales, sociales et médicales, envahit le corps privé. Le « corps testo » est un bon exemple pour illustrer cette sorte d’invasion pharmaceutique. Un autre exemple auquel Preciado fait allusion est le bébé au genre neutre : tous les gouvernements, à l’exception de l’Allemagne, qui a récemment ratifié le troisième genre, ni féminin ou masculin, ordonnent que le genre soit définit à la naissance. Des hormones sont utilisés pour canaliser le genre du bébé et les signes sexuels vers ceux d’un garçon ou d’une fille. Avec la pilule contraceptive, le corps est initié à un contrôle d’une manière douce, car prendre la pilule est une action volontaire de la personne tout en gardant l’impression de liberté puisque « je peux maintenant baiser comme je veux ».

Aujourd’hui, lorsque vos enfants ont un rhume et que vous les amenez chez le docteur, celui-ci leur prescrit immédiatement des antibiotiques, alors qu’au même moment des personnes meurent de simples infections après avoir pris trop d’antibiotiques, les rendant inactifs. Les gouvernements mettent en place de nombreux traitements afin de contrôler le corps.

Je ne pense pas que ce soit le public qui contrôle le privé, car le domaine public est censé être le troisième point de vue entre l’état et le peuple, arbitrant et contrôlant leur lien. En tant que tel, de nos jours cela n’existe pratiquement pas. C’est l’alliance entre le capital privé et l’état qui crée les règlements et qui contrôlent la consommation.

On pense être une personne libre lorsqu’on a des sensations et qu’on se sent bien. Cette sorte de manipulation affective est de nos jours dominante, et elle se produit malgré notre prise de conscience du pouvoir des images qui opère sur nous. Il y a un écart étrange entre le fait de savoir que je ne suis pas libre mais avoir tout de même la sensation de liberté lorsque j’achète mes nouveaux baskets – j’exagère un peu en décrivant ce principe de base. Et la troisième partie aborde la manipulation affective.

Donc après « testo junkie», qui traite de l’invasion du corps par le contrôle biopolitique, nous basculons vers un mode de plaisir. Je demande aux gens de devenir attentif à la production des sensations que je décris, car je leur demande de les imaginer, et donc de produire des sensations dans leurs corps d’une manière active. Et je ne sais pas si cela se passe vraiment ou pas.

Cet exercice d’imagination est entièrement volontaire.

Et l’intention d’être activement conscient n’est pas de faire la morale aux gens en leur disant qu’ils doivent être attentif à leurs sensations. J’investis une autre façon d’être en lien avec ses propres sensations et émotions aux frontières du privé et du public. En étant en situation de performance au milieu d’eux, je teste aussi les degrés de proximités et distance, l’intimité d’être ensemble dans un tel espace, absorbés par nos propres sensations. Je cherche des façons de venir proche ou de m’éloigner.

Et enfin, la troisième partie s’ouvre à un autre domaine de la sexualité, où la pratique sexuelle ne se situe plus entre les corps de relation hétérosexuelle, hétéronormative ou homosexuelle, mais met en jeu des humains en lien avec des objets non-humains. Cela amène à questionner la possibilité d’un changement radical au niveau de l’expérience des sensations qu’ont les humains.

Tu nommes les trois pratiques que tu exécutes ici comme «momification sexuelle », renfermer son propre corps en l’enveloppant dans du ruban adhésif afin de produire une immobilité complète ; puis faire l’amour à une statue de marbre, qui rappelle le mythe de Pygmalion ; et enfin l’électrostimulation, qui probablement existe, du moins sous forme de machine utilisée par les ostéopathes qui amène à la détente musculaire créant une sensation proche de celle de l’orgasme. L’aboutissement de ce voyage au travers des performances sexuelles se termine avec un transfère d’un »nous», un modèle social d’un collectif dans les années 60-70, et la multiplicité dans l’exemple de ton travail, à un «moi», l’individu asocial privé et solitaire. Si je recadre socialement les pratiques que tu décris, je peux imaginer qu’il est libérateur pour n’importe quel sexe de dissocier son désir de celui de dépendance d’un partenaire sexuel. Néanmoins, qu’est ce qui distingue ces pratiques d’autres pratiques de masturbations sophistiquées ? Est ce une affirmation vers une façon d’être sur- sexualisé ou omni-sexuel ? Ce qui m’interpelle ici est que la sexualité se repose sur la personne indépendante, qui a remplacé la famille en tant qu’unité sociale. Un modèle de vie est détruit pour le meilleur et pour le pire, mais aucune nouvelle alternative plus heureuse n’a été établie. Alors, où en sommes-nous ?

Je sais que certaines personnes trouvent que ces pratiques sont des échantillons d’extrême masturbation, qui sont solitaires, aliénantes et tristes. Pour moi, je ne le considère pas du tout comme ca. D’abord, il y a une résonnance avec la sur-sexualisation de tout objet dans les publicités.

Les actes sexuels avec les objets que tu décris sont pour la plus part un mimétisme de la représentation humaine du sexe traditionnelle (frotter, lécher, onduler le corps).

Oui, mais le faire avec un objet au lieu de le faire avec un humain peut menacer les modes normatives du comportement et mettre en place des possibilités qui génèrent du plaisir d’une manière non-normative. Et si ces pratiques produisent d’autres sortes de plaisir que celles qui existent avec l’interaction humaine, cela aura alors des conséquences sociales. Donc, quand je lèche la lampe, j’espère qu’il y a une sorte de transmission, où l’on pourrait dire « humm » – tu vois?

Le spectateur peut saliver, et en même temps penser : « oh c’est dégoutant. Qu’est-ce que je suis entrain de faire ? »

Et pour moi cela revient à la question « est-ce que je sais ce qu’est mon propre plaisir, et comment puis-je y penser autrement ? » Ceci serait une manière très simple de changer la normativité des pratiques sexuelles qui contrôlent la manière de penser nos sensations ou l’expérience du désir.

Ce qui rend ceci potentiellement intéressant, même si c’est une voie d’émancipation, est le fait que cela soit fait d’une manière excentrique, évitant des conflits qui pourraient pour ainsi dire, mettre en péril la valeur des relations sociales. Peut-être que cela démantèle les constructions, en séparant le désir de la violence par le pouvoir de la domination des autres. Peut-être que cela demande à y réfléchir.

Dans « 69 Positions » les spectateurs voyagent au travers de plusieurs modes de participation reliant différents formats mis en jeu par la performance. Cela débute par une visite guidée qui traverse une exposition, mais très vite cela se transforme en démonstration plutôt qu’en conférence qui expliquerait quelque chose. Comment les différentes manières avec lesquelles tu abordes le public évoluent durant ces deux heures ?

Durant la première partie, la visite guidée sert de système de cadrage : les gens viennent avec l’attente d’un dispositif théâtral, et ils se retrouvent dans un espace fermé, debout avec d’autres personnes sans possibilité de s’asseoir sur une chaise. La visite guidée est aussi un prétexte pour qu’ils restent debout, et qu’ils se déplacent avec moi dans l’espace. C’est très important qu’ils ne regardent pas seulement la chorégraphie, mais qu’ils se retrouvent aussi mêlés à elle, en en faisant partie.

Très vite, cela devient évident que le but de ce dispositif n’est pas de guider les spectateurs au travers d’une exposition, parce que je ne leur laisse jamais le temps de contempler un document exposé. Il y a une dynamique qui me conduit d’une chose à l’autre. J’ai un plan d’action que je suis, mais il est constamment adapté suivant la réaction des spectateurs. J’appelle donc ça « chorégraphie douce ».

Les gens se regardent lors de ces mouvements fluides. Ils observent le comportement de chacun, et ils essaient de détecter les sensations des uns et des autres. Ils sont en position de surveillance les uns envers les autres.

Le regard des spectateurs les uns vers les autres a l’air de signifier : « est-ce que c’est bien, ou non ? » « Comment devons nous nous comporter dans cette situation ? » Lors d’une récente présentation de la première partie à l’université DOCH, à Stockholm, j’exécutais, comme dans chaque performance, la scène de la pièce d’Anna Halprin Parades and Changes où je me déshabille, et comme d’habitude, je fixais un spectateur du regard. Il semblait être calme et à l’aise et j’ai même dit, « ça fonctionne bien ». Pendant la discussion après le spectacle, il a dit que ça avait été la situation la plus intimidante de sa vie. C’est une démonstration très claire du pouvoir inversé : je suis une femme nue qui regarde un homme qui me regarde nue, mais je lui renvois le regard qui l’interdit de regarder nulle part d’autre que dans mes yeux. Je n’étais pas consciente de l’importance que prend la question du regard lorsque le corps est nu, et le pouvoir que j’exerce avec mon propre regard. La participation dans la première partie est donc centrée sur le renvoi du regard. La stratégie de la deuxième partie est la chosification : « je me mets dans la position d’être regardée ». Une fois de plus, il s’agit de l’inversion qui récupère le pouvoir des objets dans les représentations pornographiques. Un peu comme Annie Sprinkle, qui ouvre grand ses jambes et invite les spectateurs à regarder à l’intérieur de son vagin, ce qui la revalorise par le fait de reprendre possession de son auto- objectification, j’utilise des extraits de mes propres pièces pour en faire une auto- objectification. J’essaie de faire ça tout le temps: que le corps dans la représentation a une voix et une capacité à penser, contrairement aux femmes dans la pornographie, dont les voix représentent des gémissements sexuelles. Dans 50/50, la scène des fesses qui se secouent est une image silencieuse. Là l’image est une réplique et de cette façon j’espère qu’elle défait l’objectification du regard du corps nu dans la pornographie. Et pour la troisième partie, je ne sais pas encore, et je dois encore y réfléchir.

Il y a quelque chose de caractéristique au sujet du ton que tu emploies tout le long de la pièce. C’est un ton qui proclame la joie. Il n’y a rien d’offensif, d’inacceptable, ou manipulateur dans la façon dont tu t’adresses aux spectateurs. Tout ce que tu fais arbore une connotation positive. Et le ton que tu utilises rend la participation plus facile, comme si le sous-entendu était : « ne vous inquiétez pas, je ne vais pas trop vous mettre dans l’embarras. Cela ne va pas faire mal. Ce n’est rien de grave… si je peux le faire, vous pouvez aussi le faire… » Cela ressemble à une antidote du malaise à l’invitation de participer. Parfois tu exagères ta gaité, et cela se lit de cette manière « pourquoi ne pas danser comme un idiot ici ». Ceci fait réagir les gens d’une manière positive. Ils incarnent ta joie car ils apprécient aussi d’être dans l’aura de l’artiste.

Il y a plusieurs choses à dire à ce sujet. Beaucoup de pièces sur la nudité tournent autour de l’effet choc. Ceci produit une distance et rejection dans le public, ce qui ne m’intéresse pas. En général, je préfère la joie et la créativité – OUI à l’invention ! Nous ne pouvons pas changer les structures de la société uniquement par des analyses critiques, quelque soit la nécessité de cette analyse. Nous devons être capable d’imaginer des alternatifs. Nous dites donc : voilà les structures qui sont nulles et que l’on a besoin de changer ; nous pouvons les critiquer jusqu’à les démolir. Ceci est une option – mais ce n’est pas la mienne. Et l’autre serait de dire, si nous voulons changer il nous faut donc du désir, il nous faut de l’énergie et il nous faut de la joie. Peut-être que je suis tout simplement une optimiste naïve qui croit en la vie… Alors oui, il faut questionner les structures que l’on souhaite changer d’une manière critique, mais il faut aussi pouvoir désirer le changement afin de provoquer les changements. C’est pour cela que j’investis dans l’imaginaire et le possible.

Et ensuite il faut revenir dans la société et agir selon ces désirs imaginés, ce qui n’est pas facile, car c’est accueilli avec une certaine résistance et demande à ce qu’une certaine violence soit implémentée. Les gens ne sont pas seulement réticents à l’abandon des conventions ; c’est le pouvoir de domination qui ne l’autorisera pas. Regarde ce qui se passe en politique, le virage qu’a pris les partis de la droite conservative partout.

Ce contre coup conservatif que nous voyons dans toute l’Europe et lié à l’incapacité de concevoir la différence, le changement, que cela soit dans la religion, la sexualité ou la politique… Peut importe le type de différence, il y a une sorte de conservatisme « il faut garder ce qu’on a sinon notre société va chuter ». Mais nous devons en réalité réfléchir : Comment inclure la différence ? Comment inclure l’Autre et ces modes de fonctionnement qui déstabilisera peut- être le fonctionnement et bien être de notre société occidentale ? Devrions-nous sortir dans la rue et faire de la momification sexuelle ?

Tout d’abord, la nudité dérangerait déjà l’ordre public, et donc l’intervention serait immédiatement balayée des rues par la police. Néanmoins si tu le présentes sous forme d’art et demandes la permission de le montrer en public, tu serais peut-être immunisée contre la législation. Ceci est une stratégie politique intéressante, détourner l’art afin de provoquer l’ordre public.

Cette question est apparue plusieurs fois depuis que j’ai commencé ce projet. Les gens m’ont demandé : Oui, alors, quelles sont vos mesures politiques ? Que voulez-vous changer ? Et je ne suis pas si naïve pour penser que mon spectacle peut changer le monde, mais il peut au moins exprimer le désir de changement, tout particulièrement de la manière dont je l’ai déjà expliqué : comment résister la manipulation affective et expérimenter avec ses propres sensations et affects au- delà de l’emprise normative du consommateur individualiste.

Au moment où nous parlons, « 69 Positions » n’a été présenté que quelques fois, dans trois villes (Essen, Bruxelles et Bergen). Peux-tu distinguer différentes réponses suivant les différents contextes ? Ou bien est-ce déterminé par la salle et peut toujours varier d’une performance à l’autre ? Quels sont les types de réactions que tu as pu voir dans la pièce jusqu’à présent ?

Par exemples, les deux performances de hier et d’aujourd’hui suscitent deux réponses très différentes. Hier les gens étaient très joyeux. Ils étaient avec moi et voulaient s’amuser ; Cela m’a semblait très facile. Et aujourd’hui, le public paraissait inconfortable et crispé, sans savoir où se placer comme s’ils étaient gênés par toute la situation. Chose étonnante, la plupart était des étudiants qui se sont plantés au milieu de l’espace. La performance est vraiment devenu une visite guidée – ce que je n’ai pas vraiment aimé. Cette représentation a aussi eu lieu à midi. Mais j’ai réalisé que cela ne fonctionne pas vraiment avec un groupe homogène. Il y a quelque chose de l’ordre du défi et de la transformation lorsque le public est un mélange de tous âges et de tous milieux. Surtout parce que cette pièce offre une sorte de pont générationnel historique de la période isolée des années 60 jusqu’à de nos jours.

Cette performance pourrait réaliser son potentiel politique quand elle pourra inclure une multiplicité, un mélange hétérogène dans le public. Tu irais alors exactement à l’encontre du conseil de Schneeman donné dans sa lettre : au lieu de refaire « Meat Joy » avec le groupe d’origine, allez dans une maison de retraite et travaillez avec des personnes âgées. Tu ne cibles absolument pas un public particulier ?

En effet, non. Ma règle de base est que quelque soit le public présent, c’est le public avec lequel je travaille. Donc, je pense que si j’observe quelque chose, c’est la chose suivante : comment la joie est parfois transmise dans le public et il reste très présent, et comment à d’autres occasions, il y a une sorte de scepticisme, rigidité qui produit beaucoup de tension dans l’espace.

Et comment travailles-tu avec cette tension ?

Je me tiens à mon plan d’action, mais en le suivant, je m’adapte et accommode mes actions à la situation. Par exemple, si les gens sont collés aux murs, je passe derrière eux littéralement et essaie de les faire bouger et de les redistribuer dans l’espace en utilisant mon propre mouvement. J’ai développé différentes stratégies, aussi par rapport au nombre de personne pour lesquelles je suis visible dans l’espace. Je reste consciente du déplacement des gens dans l’espace pour pouvoir agir en conséquence. Ceux sont des techniques, comme quand je continue à tourner, et ainsi de suite… Ma manière d’aborder les documents qui sont placés au mur est aussi importante, car cela permet aux spectateurs qui se sont progressivement effacés de se connecter à nouveau. Cela arrive qu’ils puissent revenir. Je vois des gens avec leurs visages comme « oh, plus d’orgie pour moi. Ça suffit », et ensuite ils vont voir ce qu’il y a sur le mur. Ces transferts d’attention sont importants pour la pièce.

Et ma dernière question serait : quelles sont les implications ou conclusions que tu tires de cette pièce pour t’en servir dans ta prochaine création, qui traitera de la sexualité et de la nudité avec un plus grand groupe de danseurs ?

Les idées que je développe dans la troisième partie de 69 Positions me hantent : comment se défaire des modes conventionnels du comportement sexuel par des pratiques expérimentales. Ceci est quelque chose que j’aimerais élaborer davantage. Et ceci surgit à partir de connections avec des objets et des non-humains, mais cela vient aussi du fait de reconsidérer le corps comme une chose, ou comme un non-humain. Peut-être est-ce une façon de composer un groupe au-delà de l’intégrité personnelle ou du dialogue humain, qui se trouve au centre de l’interaction sexuelle. L’autre aspect que j’aimerais prolonger à partir de ce travail dans ma prochaine chorégraphie, et je ne sais pas encore comment, est la transition avec l’histoire de la structure normative qui doit être défaite, à partir de laquelle un futur peut être à nouveau imaginé.